Je livre ici quelques fragments de ma correspondance, des souvenirs parlant souvent plus fort que les discours. Le sens d'un monde se décrypte dans ses interstices, ses écritures archaïques oubliées comme un signe déposé dans l'obscur. Dire la mémoire des oubliés : Les marginaux, les modestes, les exclus des partages portent le poids du monde, mais ils ne restent pas dans l’histoire. Pourtant rien ne se fait sans les pauvres, les humbles, la force du silence... Leurs expressions sont toujours une gène, une source d’inquiétude... Les formes institutionnelles (le marché, l’ordre, la médecine...) les encadrent, mais parfois, des traces s'évadent...
Ces traces témoignent simpement de l'état d'esprit régnant à la fin du XX° siècle "Avec ses bons apôtres et ses mauvais sujets, Avec les jolies filles et avec les vieux cons, Avec la paille de la misère pourissant dans l'acier des canons... (Jacques Prévert)" C'est là tout l'intérêt de ces correspondances.
Note : Tout est vrai ici, ce qui est relaté est vérifiable, avec des témoignages et des écrits... Les noms de personnages en cause ici sont masqués pour ne pas être soupçonné de médisance facile...
Le 28.03.1997. Lettre à des amis hollandais,
J’espère que tout va bien là- haut, dans ton lointain et beau village océanique. Je t’envoie une information sur deux événements survenus cette semaine sous notre soleil pagnolesque. Je te promets que ce que je vais te raconter est vrai jusque à la dernière virgule. Voilà.
Hier 27 Mars 1997, j’ai assisté en spectateur à une conférence publique au Conseil général de l’Hérault, journée qui avait pour thème « L’avenir du travail adapté » organisée par une association gestionnaire de Centres d’Aide par le Travail. Je m’installe à droite des chaises au deuxième rang, et l’endroit est plein de monde, professionnels du social, étudiants et futurs cadres, administrateurs... Il y a eu une vingtaine d’intervenants qui n’avaient rien à dire, en costume-cravate et beaux comme des princes avec leur barbe taillée ou leur couronne de cheveux gris à la César ; Il y avait, comme dans tout débat sur le handicap, deux souris en mini-jupe, - pour montrer qu’on est large d’esprit -. Et que je te papote, et que je te papote, et ils sont intégrés, et ils font de la gymnastique et c’est épanouissant, et ils ont retrouvé le sourire, et c’est le bonheur... Et je te remercie M. le Directeur de, et je te félicite M. le préfet de, et on se congratule, et on fait le mieux dans ce monde si imparfait, et on en bave d’allégresse... On a fait venir le juriste de service Marie-Louise C. - une de ceux qui m’ont viré de l’Université, car « la vue d'un fauteuil roulant les gêne et leur fait peur » (sic !) disent-ils comme une leçon bien récitée ; elle qui m’a fait la charité de pomper mes travaux ! - Géniale de luminosité, elle a eu l’idée du siècle : « Puisque le taux d’embauche obligatoire de travailleurs handicapés est de 6% alors que le taux réel moyen d’embauche frise à peine 3%, baissons le taux légal à 3%, ainsi les textes seront en prise avec la réalité (sic !) » Esthétique ! (C’est le raisonnement juridique le plus tordu que j’ai jamais entendu ! transposons le sur un autre objet : Le code pénal réprime l’homicide ; malgré cela, il y a des meurtres tous les jours. Dépénalisons l’assassinat comme ça, le code pénal sera en prise avec la réalité. Indigent !)
Le seul instant de la journée où des travailleurs des CAT. ont parlé a duré 10 minutes : Ils étaient absents, mais on a passé un petit film où ils répétaient « qu’ils étaient bien là, et que le monde extérieur est trop dur » - comment le savent-ils ? - Rideau ! J’étais le seul handicapé dans la salle, pour cette journée consacrée à « l’avenir du travail adapté » consistant en fait, à mettre ce type de travail en rapport commercial sur le marché du travail mais pas trop, rapport aux subventions publiques. Remarque, on comprend qu’ils ne soient pas là pour parler d’eux, il faut bien faire marcher la boite qui fait vivre tout ce monde et finance le colloque (le CAT. tourne avec 11 millions de nouveaux francs dont 5 de subventions, et 6 du produit des travailleurs ; le code du travail ne leur donne ni droit syndical ni statut ; ils n’y sont pas nommés, et dans le CAT. ils s’appellent « Agents de Production »). Et « ils peuvent gagner jusque à 130% du SMIC. », alors que des jeunes en « réinsertion » font pousser des plantes pour huit francs de l’heure dans des associations dirigées par des universitaires et des administrateurs (de gauche n’en doutons pas, puisqu’ils font beaucoup pour les exclus). Ils seraient bien ingrats de se plaindre ! Une administratrice d’un quelconque sous-ministère local prend la parole en causant des types d’emplois « adaptés » : « Notre problème quand il y a une fermeture comme à Willword (usine Renault en Belgique), c’est comment faire entrer les travailleurs dans ce nouveau cadre social (sic !) » Autrement dit : Comment transformer des hommes en sous-hommes...
Vient l’heure du repas. Buffet garni à 150 francs par tête. J’étais le seul de la salle à sortir pour manger un sandwich au bistrot. Après-midi, intervention de la juriste en chef, puis d’un administrateur. L’animateur du débat propose le micro à la salle. Je lève la main et on me passe un micro baladeur. Je me présente, nom et titre. Puis je lis une question que je venais d’écrire, indigné par le propos de la juriste (j’étais bien le seul !) : « La place d’un Docteur en Science politique porteur d’un handicap est-elle dans un CAT, ou avec ses pairs, chercheurs enseignants, etc., pour enrichir le monde du savoir et la société ?
Est-il normal qu’il soit condamné à la précarité, voire la misère, alors que d’autres chercheurs qui ont largement utilisé ses travaux, vivent très bien à l’Université, au CNRS. ou ailleurs, en travaillant sur le champ du handicap ?
Cette indignité est-elle compatible avec la Charte des Droits de l’Homme et du Citoyen, préambule de la Constitution du 13 Octobre 1958 ? » Profond silence dans salle, la juriste en chef, blême, regarde au plafond d’un air de ne pas en être... Un costume-cravate sur la tribune me répond : « Cela sort du cadre du débat... Nous connaissons tous les problèmes de l’emploi des handicapés en milieu ordinaire... (Puis très gêné) Vous êtes un haut de gamme... » « Haut de gamme » signifie-t-il qu’il n’en a rien à faire, ou que ceux dont il s’occupe sont du bas de gamme ? Puis il annonce une pause de cinq minutes. Retour à ma place cinq minutes plus tard, le débat reprend.
Autour de ma place on a fait un grand vide. Le présent le plus proche doit être à cinq mètres de moi ! Un étudiant pose une bonne question. Réponse inconséquente de la juriste. Je lève la main par deux fois. On ne me donne pas le micro, malgré le manque de questions de la salle. Personne n’est obligé de fréquenter les lépreux ! FIN
Heureusement, tout ce petit monde est antiraciste, féministe (surtout quand elles sont en mini-jupettes), et défend les Droits de l’homme. Voilà pour ça ! Je vais promener mon chien...
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Le 28.03.1997. Lettre à un ami allemand,
... Sur un article paru dans le Midi Libre du 28 Mars 1997, à propos d'un organisme appelé «Observatoire de la précarité ». En fait, il observe tout ce qui concerne les Sans Domiciles Fixes, les bénéficiaires du Revenu Minimum d’Insertion, les handicapés, les immigrés espagnols ou portugais, etc. Dans le Midi Libre de ce matin, il y a cet article que son rédacteur intitule avec un humour très britannique « Un coup d’arrêt à l’intégration sociale ».
Certains membres de cette pompe à subvention n’hésitent pas à piller les travaux de personnes vulnérables, maghrébins ou autres handicapés. En 1991, le Préfet Bernard Gérard, voulant bien faire, subventionnait l’initiative ; en 1995, le Préfet Charles-Noël Hardy restreignait la dotation; en 1997, le Préfet Bernard Monginet annonce sa suppression en 1998. La somme n’est qu’une part du budget de « l’organisme privé », des chiffres à lire, on n’en verra pas autant de notre vie. Par contre qu’une association indépendante de personnes handicapées, ou un marginalisé quelconque demande quelques milliers de francs pour participer à une initiative ou réaliser une activité d’intérêt public, il entend tous les mensonges gras : « Il n’y a pas d’argent », « Il manque telle pièce dans le dossier », « la date de forclusion de dépôt de dossier est passée, revenez l’année prochaine... », « On ne fait pas n’importe quoi avec l’argent public ! ». On «t’oriente » alors vers ce genre de Club, qui contrôle et censure tout travail sur « le social » comme toute organisme dont l’objet tourne autour du handicap. Charme discret de notre Méditerranée ?
Le Gourou de secours de cette secte de « nouveaux observateurs » aime faire les choses par derrière : Les dix emplois dont on parle dans l’article sont en majorité de CES. payés par l’Etat, pour les diplômés beurs, ou issus de milieux modestes. Pas le Directeur bien-sûr, et il faudrait connaître les statuts des enfants de bonne famille... Sûr qu’ils défendent les essedééfs, les érrémistes, et nous, sauvagement agressés parce que nous ne serions plus observés par ces gonfleurs d’hélices... Les pauvres ! Je ne vide pas mon sac pour des motifs personnels. Il est absurde de refuser d’aider des personnes handicapées sous prétexte qu’on arrose «L’observatoire de la précarité » qui observe l’intégration des personnes handicapées. L’auto-dissolution de cette organisation a pour but la recherche de nouvelles subventions « non lucratives ». Que vont-ils encore piller pour faire croire qu’ils sont les premiers, quelles activités vont-ils encore empêcher pour se donner des airs d’humanistes penchés sur la misère du monde, quelle vie vont-ils encore gaspiller pour bouffer de la subvention ?
Et nous, quel poids de mépris faudra-t-il que nous soulevions pour remplacer les enjeux de pouvoir par la clarté ! Un homme, Jean-Michel Gunes, s’est jeté dans l’eau du Lez à Port Arianne (Lattes) cette nuit, avec son fauteuil électrique... Le journal dit qu’il était dépressif. On se demande pourquoi !
Voilà les dernières nouvelles du front. C'est pas triste dans le Midi. Si tu aimes le folklore, tu es servi. Grosses bises à tous.
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Le 27.06.1997. Lettre à des amis hollandais,
Vendredi 27 Juin 1997. J’ai assisté à un colloque intitulé "Prévention et gestion des risques professionnels des agents sociaux et médico-sociaux".
Réunion intéressante sur les difficultés des éducateurs, assistantes sociales ou autres infirmières pour affronter les formes de violence diverse des populations victimes de la dérive néo-libérale. Deux questions qui font événement ; Avant cela, le chercheur Didier Taverne - animateur de la conférence - précise qu’il n’y a pas LA violence, mais DES violences auxquelles on apportera que des réponses diversifiées. Il parle des troubles de comportement du public dans un jeu de miroir avec les institutions.
Les articles 302 - 12 et 302 - 2 code du travail, art. 1384 C. civil, art. 40c. procédure pénale sont concernés par la violence dans le travail.
1- Pierre Montaldi (psychiatre) intervient : . Avant la violence I Acte I Stigmate, fantasme . La violence n’est jamais la notre . Représentation de la violence . Violence quotidienne . Violence passive . Violence, mot de même étymologie que la survie. Agression : acte violent spectaculaire dans un but de survie... Question dans le public (c’est moi) : "Y a-t-il des agressions non spectaculaires, exemples du sens commun du mépris ou de la charité quand elle n’est pas demandée ? Si oui, quel sont les enjeux sous - entendus en terme de survie ?" Narcissisme, image de soi... mais inconsciemment le plus souvent. Les pauvres incapables de supporter les pressions inhérentes à la réalité... (Mais la réalité de qui ? La réalité c’est la volonté du plus fort, du plus puissant, la violence NDLA).
2- Mme Gleizal (psychothérapeute - formatrice) prétend que les assistantes sociales courent le plus de risque lors des visites à domicile ; Question du public : "Je suis assistante sociale et depuis six ans je travaille essentiellement à domicile. Je n’ai jamais eu de problème de violence." Une autre question du public : "D’après nos études, il n’y a eu que deux agressions d’assistantes sociales en six ans"... L’animateur du débat évoque le fantasme. Embarras de l’intervenant. Le couple "classe pauvre / classe dangereuse" a la peau dure ! On déclare une pause de dix minutes. Reprise. Dans la foule, une assistante sociale prend la parole pour raconter une agression au CCAS. d’Agde : "Une femme munie d’un pistolet a menacé une assistante sociale parce qu’elle ne voulait pas lui dire où son enfant avait été placée... Le travailleur social est encore traumatisé..." Énoncé comme ça, on comprend que le travail social comporte des risque. Il s’ensuit un débat pour savoir si le traumatisme va passer avec le temps, ou si il fallait avoir recourt à un psychiatre tout de suite, comme pour les attentats terroristes. Bon ! Autre question dans le public (c’est moi) : "Le refus opposé à une mère de savoir où est son enfant n’est-il pas une violence en soi ? (Aucune explication n’avait été donnée sur la raison du placement de l’enfant). Le fait de prendre un pistolet n’est qu’un maillon dans une chaîne de violences que subit le futur coupable (sans excuser le geste). La pression de la misère, les violences économiques, bancaires, culturelles du monde contemporain suscitent, au bout du compte, des actes qualifiés d’agression." Discussion succincte à la tribune, puis la parole est donnée aux juristes sur le droit public et privé des recours et des protections des travailleurs sociaux. FIN !
Constat : la violence faite aux pauvres n’est jamais considérée comme une violence ; Être exclu, c’est être coupable. La terre a-t-elle tournée depuis Adolphe Thiers ?
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Le 14 Mars 1998, lettre à Frère Guy, Franciscain,
Je t’envoie le programme de la journée du 18 Avril que les compagnons de l’Évêcher ont prévue.
1- Comme tu vois, Josiane C. va présider la journée. Cette dame a eu affaire à la justice, et elle a échappé à la prison parce que les juges ont eu pitié. Nous ne l’avons jamais vu à St Guilhem pour préparer la journée-débat ! Ça fais 30 ans qu’on ne voit qu’elle sur le département, elle se débrouille pour être devant dès que des gens ont quelque chose à dire. Pourquoi doit-elle passer devant tout le monde alors que, rien qu’à Montpellier, il y a de nombreux handicapés. "Elle souffre !" dit-on. Bien, c’est évident. Mais elle n’est pas la seule ! "Elle témoigne..." Mais et tant d’autres, n’ont-ils rien à dire ? Je ne te parle pas de moi, je n’aime pas servir de vitrine. Mais il y en a tant qui souffrent, tant qui n’ont pas où s’exprimer, tant qui n’ont jamais détourné de fonds publics...
2- Á la réunion du 10 Mars, le Père présidant la réunion dit : « Les handicapés n’ont pas de sexualité, ni d’enfants... » Claudie G. une nana en fauteuil, répond, estomaquée : « Mais c’est faux, il y en a qui ont des relations sexuelles, des enfants !... » Une femme ergothérapeute à Propara Nicole T., nouvelle venue à la réunion, lui reprend la parole d’autorité pour lui expliquer que ses impressions la trompent et qu’être dans un fauteuil ça n’est pas ce qu’elle croit. D’ailleurs, les accidentés de la colonne vertébrale ne peuvent pas, alors... Puis cette dame explique qu’il nous faut « définir le handicap », ce dont nous avions reconnu l’impossibilité lors de notre première rencontre. J’arrive à interrompre sa logorrhée, et j’explique que les parlementaires de la loi du 30 Juin 1975 y avaient eux-mêmes renoncé parce que c’est impossible. Alors elle me sort un truc que je n’avais jamais entendu : "Oui, mais vous, vous n’êtes pas handicapé, vous êtes en situation de handicap..." Je suis resté sans voix ! Cette môme de moins de vint-cinq ans à bac + 2, éprouvait la victorieuse prestance didactique de faire découvrir la vérité à un pauvre type inconscient de lui-même. Te rends-tu compte qu’un homme handicapé capable de dire quelque chose n’est pas un vrai handicapé, donc ce qu’il dit n’est plus dans le cadre ? Incroyable ! Avec en prime les acquiescements d’une mère dont deux enfant sont handicapés ! Mais sans doute que je n’ai pas tout compris. Ce n’est pas moi qui fait l’amour et qui travaille, ou alors je ne suis pas vraiment assis sur un fauteuil roulant ; ça doit être ça le situationnisme !
3- Le titre choisi : « ils vivent parmi nous... autrement ! » Reflet d’êtres sans sexe ni capacités, un autre monde dont on (la normalité) admet l’existence "différente". La classe !
4- Bien qu’ayant été invité pour mon livre et que j’ai participé à toutes les réunions, je ne figure pas dans le programme. Quand on a parlé de « la législation en vigueur » (3 b) j’ai dit : "Je vais préparer quelque chose sur les lois de 1975 et 1987". Silence, puis le Père présidant la réunion : « On préfère un spécialiste ; on a pris contact avec quelqu’un de l’IRTS. » L’Institut Régional du Travail Social, je leur ai fourni des sources, je leur ai donné mon livre il y a un an à leur demande... Alors moi, je suis quoi ? "Mais on va lui demander de vous laisser trois minutes à la fin de son exposé..." Mais où est-on ?
Heureusement que Danièle a tout vu depuis quatre mois, je croirai avoir rêvé. Ma lettre n’est pas vraiment gaie, mais j’ai le sentiment d’avoir vieilli d’un coup. De ne plus être vraiment du monde... Ça doit être parce que je ne m’attendais pas à cela de la part d’homme d’Église et de médecins...
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Le 9 Juin 1998 à des amis hollandais,
Après la manifestation des chômeurs le Samedi 6 Juin 1998, les chômeurs de Montpellier avaient réalisé une journée de réflexion au Centre St. Guilhem, sur « l’amendement Le Garrec» [le député Le Garrec est président de la commission sociale à l’Assemblée Nationale] dans le projet de loi sur l’exclusion en travail au Parlement. Cet amendement demande la représentation des chômeurs dans les instances administratives et prestataires (UNEDIC, ANPE...) par les chômeurs.
Les organisation syndicales s’y opposent de toutes leurs influences:
-les organisations patronales parce que cette représentation n’a pas lieu d’être, les chômeurs n’ayant pas de statut et les exclus étant bénéficiaires d’aides sociales - idée vieille comme le monde ;
- les organisations ouvrières, quant à elles, veulent conserver le monopole de la représentation dans le monde du travail. Elles matérialisent ainsi la division entre ceux qui travaillent et sont sujets de droit dans un statut professionnel, et les exclus autrefois objets de charité et aujourd’hui objets de la solidarité républicaine. Les rédacteurs du projet, animés du soucis de préserver la paix sociale et le juste équilibre des débats entre gens comme il faut, ont donc courageusement retiré l’amendement Le Garrec.
La journée fut passionnante. Malgré la présence de « professionnels » du chômage, c’est à dire de chercheurs cherchant sur la précarité, d’assistantes sociales venues assister, de travailleurs sociaux et autres porte-parole patentés des sans voix, ce sont des chômeurs qui mirent en débat les questions fondamentales :
Dans notre culture du travail, peut-on se représenter quand on n’a pas de statut professionnel ? Quelle est la différence entre représentation et représentativité ? Les entreprises ne sont-elles pas aussi des assistées ? La population française a perçu avec sympathie le mouvement des chômeurs ; quelle est la position des non syndiqués sur notre représentations ? L’expression «travailleurs privés d’emploi » laisse de côté ceux qui n’ont jamais travaillé (les jeunes) et ceux qui n’en auront plus (plus de 55 ans) ! Quelles sont les difficultés d’identité d’un chômeur (on est autre chose qu’un consommateur de services) ?... Il y a des divergences entre les syndicats, des associations caritatives, ... Comment changer de mentalité, jusqu’où va cette «idéologie du travail » qui nous sert encore de morale ? Des couches sociales vivent de la précarité, des professions sont établies grâce à la pauvreté (institutions, éducateurs, chercheurs travaillant sur le champ, etc.), comment se déterminent-ils vis à vis de la représentation des chômeurs ?
Comme dit un chercheur ce jour-là, "En parlant en votre nom, je vous confisque la parole, il est urgent que vous la repreniez, en vous représentant vous-mêmes". Contrairement aux préjugés professés dans certains manuels de formation de salariés du secteur social, voir des phrases bien dites dans des colloques universitaires, les chômeurs, les Rmistes, et autres marginaux pensent, ils réfléchissent, sont capables de s’exprimer et de parler, et donc de se représenter. «Ces gens-là » ne sont pas des apathiques intellectuels, plus ou moins alcooliques ou désespérés... Chacun a une histoire et un devenir, une humanité donc. Les chômeurs doivent se représenter eux-mêmes dans les instances qui les concernent (UNEDIC., ASSEDIC, ANPE...)... Á suivre...
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(Réponse à une lettre me conseillant d'écrire sur mes petits bobos histoire de faire pleurer les bonnes âmes au lieu de faire dans la recherche, et me parlant de « des gens non concernés », d'engagement politique supposé, et autres sousentendus bienveillants enrobés d'ego absolvo... Amusant.)
Le 27 Septembre 1998 réponse à Marie P.,
Premièrement, ma compagne s’appelle Danièle Prades ; et elle n’a pas besoin d’une écoute particulière pour « exprimer » ce qui n’est pas une « souffrance », mais la quotidienneté, qui est une lutte pour exister, plus que pour vivre. Tu n’as pas à t’en excuser, tu n’y es pour rien.
Deuxièmement, tu me dis que « des gens non concernés » (et qui donc ?) prennent le titre d’un de mes livres pour un engagement politique ! Alors sache pour ta gouverne, que je ne suis membre d’aucun parti et que mon travail ne défend aucune chapelle. Sans doute ces gens n’ont pas l’habitude d’associer « politique » et « handicap », bien que ce dernier soit le fruit d’une évolution culturelle et politique. Ils se condamnent ainsi à ne pas savoir qu’ils accompagnent un fait social sans produire d’évolution... Rien n’est plus simple que se conformer aux habitudes et aux idées reçues, alors que se remettre en question sur l’impensé, quelle angoisse !
Mais sur « la souffrance, cette dimension humaine qui intéresse les lecteurs », je ne fais pas d’étude de marché avant de penser, et cela ne me branche pas de faire vibrer les cœurs meurtris de compassion. J’ajoute que si il est mal vu d’accoler « politique » et « handicap », en revanche, n’imagine pas que la haine et la jalousie, politiques ou non, n’habitent pas certaines personnes handicapées. Tu te tromperais lourdement ! Quand à moi, ceci n’est pas mon univers.
Enfin, Jésus-Christ est parfaitement au courant de ce qui s’est passé à l’Évêché de Montpellier il y a quelques mois... Heureusement qu’il a su racheter les péchés des hommes, n’est-ce pas ?
Quand tu dis « le message du Christ, qui... n’a rien à voir avec les représentants de la religion » de qui parles-tu ? Moi j’ai la chance de connaître des religieux très fréquentables, et si j’apprécie St. Augustin, Guillaume d’Occam est un de mes auteurs favoris. D’ailleurs, Jésus n’est pas venu sur la terre pour apporter la paix (voir l’Évangile de Jean)...
Je te souhaite tout le succès à tes entreprises. Shalom halerem.
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Décembre 2000 - Avril 2001
Je suis aujourd’hui sociétaire et co-gérant d’une société d’édition en création (SARL.) Un organisme interdépartemental et ministériel, l’AIRDIE est chargé de faciliter les relations des PME, associations et autres éléments de l’Économie Sociale créés par des RMIstes, chômeurs, handicapés et autres économiquement précaires, dans leurs relations avec les banques et autres partenaires économiques (l’économie solidaire et l’économie sociale). Cet organisme a refusé par deux fois de m’aider, sans motiver ses raisons. Ce matin, le 05.12.2000, le directeur local de cette association, M. K., répond ainsi à mon associée Danielle Prades qui lui demandait les raisons de ces refus : "... quand je vois ce pauvre monsieur handicapé..." Aurait-il dit "ce pauvre petit juif" ou "ce pauvre petit arabe" ? Si ça n’a rien à voir, c’est une chronique du racisme ordinaire ! Le sens commun quoi...
Je suis allé voir le quidam dérechef, et j'ai dit : "Je suis le pauvre monsieur handicapé". Il se lance dans une logorrhée ininterrompue, "... et je fais beaucoup pour les handicapés... et je fais du bénévolat... et ce n'est pas à moi qu'il faut en conter..." Pas moyen d'en placer une ! Et deux collégues à lui qui m'encadraient au cas où, depuis mon fauteuil roulant électrique, je lui aurait décoché une attaque de karaté... J'ai tout de même réussi à lui demander pourquoi les dossiers n'étaient pas passés en commission ; réponse "Je ne m'en souviens pas." Reprise de la logorrhée. Tant pis pour lui, nous nous expliquerons calmement et devant les juges compétents de tout ceci.
Les sensibleries subjectives de M. K. ne m’intéressent pas ; en revanche, ses critères discrétionnaires ont porté un grave préjudice à des années de travail pour sortir de la précarité, et réussir par mon labeur, à m’intégrer dans la société. J’ajoute que ce faisant, il a nui à mon associée, à mes collaborateurs, et aux professionnels qui me font confiance.
Il n'y a pas que dans les boites de nuit qu'on discrimine !
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Les textes contre la discrimination à notre disposition
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