Texte présenté en Mars 1997 à la réunion du GIPH à Paris au Gymnase Européen Handi-sports. Texte rapidement lu et débattu...

Marginalité ou intégration :

Entre la responsabilité et l’aparté, « Sois belle et tais-toi » !

Pascal DORIGUZZI Docteur en Science politique

 

La loi du 23 Novembre 1957 en faveur de l’emploi ouvre l’ère du travailleur handicapé. La solidarité républicaine s’articule sur l'alternative "assistance/ assurance" ; ça devient ambigu lorsque l'assisté est travailleur.

En effet son statut social évolue entre les moyens financiers de l'assistance, et l'état de travailleur cotisant aux caisses sociales et à l'impôt, donc relevant de l'assurance. L'État Providence résout le dilemme en médicalisant le statut professionnel et social du travailleur désigné handicapé. Celui-ci porte une socialisation à géométrie variable produite et reproduite par les lois successives.

L'action sociale vis-à-vis du handicap possède un point commun aux périodes politiques traversées depuis les années 1920. Il existe une distinction entre le revenu et l'emploi. D'une part la législation prévoit une pension, indemnité, allocation, revenu minimum... D'autre part, elle prend des mesures sur l'emploi. En 1919, les mutilés de la Grande Guerre reçoivent des pensions et en 1924, intervient la loi sur l'embauche obligatoire des mutilés. Le 2 Août 1949, l'État Providence verse des pensions à certaines catégories d'aveugles et grands infirmes. En 1957 le handicapé entre dans le langage politique en tant que travailleur. Le 30 Juin 1975 les personnes handicapées perçoivent l'Allocation aux Adultes Handicapés et il faut attendre le 10 Juillet 1987 un texte sur l'emploi.

Ce statut double donne à la politique d'après la seconde guerre mondiale l'aspect de deux voies parallèles, l'une appelée "emploi des travailleurs handicapés", l'autre "politique de solidarité". Cette distinction permanente est-elle cause ou effet des difficultés d'intégration des handicapés ? Ceux-ci sont-ils démotivés par les techniques d'assistance, ou la société se dédouane-t-elle par l'existence d’un minimum vital ?

Le rapport social du handicap constitue ainsi un double - langage politique : la médicalisation et la professionnalisation. Entre l'indépendance économique et l'assistanat, un compromis intègre le travailleur handicapé dans un statut professionnel permettant rarement de se passer de l'aide sociale (Les ATP. et CAT. prévoient un mode de rémunération articulé avec l'assistance). Ainsi il n'y a pas véritablement exclusion de la société ni même du monde du travail. Le handicapé accède rarement à des postes d'autorité ou à des salaires assurant l'indépendance économique. L'emploi semble une activité secondaire dans les politiques sociales, si on fait la part des moyens consacrés à l'assistance des handicapés, par exemple aux institutions sociales et médico-sociales. Le volume du revenu dont disposent les personnes handicapées revient au premier plan de toute argumentation sur leur vie sociale.

Les questions de l'ouverture de la société aux gens différents, celles de l'insertion professionnelle, aboutissent à cet argument, qu'elles soient formulées par des associations, des travailleurs sociaux ou des élus. Certes, la modeste Allocation aux Adultes Handicapés ne perdrait rien à une augmentation substantielle, et constituerait un réel progrès pour beaucoup de gens isolés. Cette réponse évacuée, il convient de se demander quel sens sous-tend cette allocation d'assistance. L'argent de l'assistance va au-delà de son pouvoir d'achat. Il est une manière d'être du social, une destruction de la question de l’intégration sociale par la quantification systématique du débat. On remplace la question du rapport social par la demande d'assistance. Comme si l'enjeu était là !

Cette perte de sens évite la question des la responsabilité et de l’intégration. L'argent de l'assistance sans objectif ni finalité sociale signifie une mort sociale, une pratique qui n'a plus d'autre objet que sa propre reproduction. L'argent est un prédateur du sens.

La raison de mon intervention est celle-ci : S’il y a des modifications législatives sur les institutions médico-sociales en discussion, elles doivent impérativement prendre en compte le débat sur l’aide sociale, et sur l’engagement professionnel et social. Depuis un siècles de politiques publiques, on a toujours séparé le sujet en deux. Ne manquons pas l’occasion de rompre avec cette répétition historique. Recevoir de l’argent (en particulier de l’aide sociale) ne signifie pas être intégré. On peut très bien imaginer une marginalité dorée...

Certes, le choix de vie des personnes handicapées se résume souvent à l’alternative entre institution/ famille ou une autonomie aux frontières de la pauvreté. L’autonomie se confond souvent avec l’isolement. Les coûts induits du handicap poussent vers la précarité, comme ceux, exorbitants de l’entretient d’un fauteuil électrique ou les frais d’URSSAF (entre autres)... ou la déduction de l’AAH de toute somme, même misérable, que les personnes réussissent à gagner !

S’il faut choisir entre une autonomie précaire et une marginalité vivable, il faut imposer un principe : Que l’aide matérielle apportée soit systématiquement assortie d’une responsabilité sociale, professionnelle chaque fois que l’individu a une compétence, un engagement librement choisi mais apportant une valeur ajoutée à la société. La bonne morale n’a rien a y voir. La moralité du monde dans lequel nous vivons, justement, parlons-en... Elle évolue avec les difficultés sociales et les difficultés graves de larges couches de la population. Et dans un sens où seuls sont reconnus « utiles » le « productif » et le « rentable ».

Au regard de l’histoire du handicap, la génération présente doit réaliser l’accès aux responsabilités pour les personnes handicapées, l’exercice de rôles sociaux et professionnels positifs. Cela commence par la faculté de prendre part aux débats politiques qui préparent nos lois, en tant qu’acteurs et non en consommateurs. Le cadre général doit être l’égalité des droits comme principe Républicain. L’alternative pour l’heure serait une marginalité précaire ou vivable, malgré les moyens financiers versés aux institutions et la précarité pour les personnes handicapés elles-mêmes. Il faut verser ces moyens aux personnes, au lieu d’arroser des «intervenants » qui n’ont d’intérêts pour les personnes qu’en l’absence de moyens. Mais ceci doit se faire dans le cadre d’une orientation de la politique du handicap vers l’intégration et la responsabilité. Alors nous ne serons plus de consommateurs du social, mais des citoyens.

Pascal DORIGUZZI le 24 Mars 1997.

 

Pour plus de détails, voir l’ouvrage de Pascal DORIGUZZI L'HISTOIRE POLITIQUE DU HANDICAP, De l’infirme au travailleur handicapé ÉDITIONS L'HARMATTAN, Oct. 1994, Paris.

 

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