L'intégration scolaire...

Pascal Doriguzzi Juin 2000

 

La loi du 28.3.1882 sur l'instruction obligatoire affirme cette obligation pour tous les enfants sans distinction. Les Ministères de l'Intérieur, de la Justice et de l'Éducation Nationale se voient chargés pour le premier des mineurs délinquants, pour le second des problèmes de santé. La scolarité des enfants "infirmes" restait confinée dans les hôpitaux ou des écoles spécialisées, mais l'organisation administrative relevait de l'enseignement public.

Le régime de Vichy transforme l'approche institutionnelle des questions sociales. Les réformes de l'État Français sous Vichy modifient profondément les institutions administratives. La politique de l'enfance inadaptée, par exemple, se subdivise en secteurs, la "jeunesse en danger", la "neuropsychiatrie infantilo-juvénile" ouvrant un conflit entre la Santé et la Justice. L'échec des "classes autonomes de perfectionnement" inaugurées en 1909 (et qui perdurent jusqu'en 1951) prive l'Éducation Nationale des services spécialisés, ouvrant la voie à la médicalisation de la "débilité". Les Ministères de l'Intérieur, de la Justice et de l'Éducation Nationale se déchargent de leurs services sociaux au profit d'institutions spécialisées épaulées par des oeuvres privées, confessionnelles le plus souvent. La professionnalisation du travail social pointe son nez au bout du processus. La médecine et la santé organisent désormais la socialisation de l'invalidité. La Libération restaure la démocratie représentative, mais les réformes administratives entre-prises par Vichy marquent durablement les politiques sociales futures.

Les débats de la loi du 31.07.1963 sur l'allocation aux mineurs infirmes (1) parlent "d'enfants infirmes ou gravement déficients", de "droits scolaires obligatoires pour les enfants aveugles, infirmes ou sourds-muets, et très déficients". On y évoque le progrès médical générateur de "problèmes" laissés aux seuls parents. Les enfants "anormaux" survivent dans des conditions d'invalidité de plus en plus lourdes, du fait des progrès de la médecine, mais la société n'en a pas encore pris la mesure. Les familles sont seules pour y faire face. On y souligne le fait que les familles cachent leurs enfants invalides et supportent seules ce problème considéré "personnel et honteux par la société". La loi encourage le placement en écoles spécialisées, en familles autres que celles d'origine. La volonté politique est de scolariser les enfants anormaux, pour que les familles ne cachent plus les déficients. Depuis quelques années, l'aménagement de structures d'accueil et la formation des maîtres sont engagées (réforme de Jean BERTHOIN -ministre radical- du 6/01/1959).

L'intention est louable : briser l'isolement des enfants et de leurs familles. Mais la seule solution imaginée consiste à créer des institutions spécialisées (Ministère de la Santé), non à organiser l'intégration dans la scolarité ordinaire. Certes, certains handicaps relèvent d'une scolarité médicalisée. Mais un recours systématique à la spécialisation pour toute déficience "dé-limite" l'espace social où vit l'enfance inadaptée.

Vingt ans après, à la fin des années 1970, en devenant handicapé, j'ai rencontré des gens confrontés à des refus et des obstacles "culturels" insurmontables pour scolariser un enfant handicapé capable de suivre le programme en milieu ordinaire. D'autres à la recherche d'écoles spécialisées...

Depuis, peu de rentrées sans articles de presse, sans grève de la faim, sans recours administratif par des parents confrontés à des refus et des obstacles "culturels" insurmontables pour scolariser un enfant handicapé en milieu ordinaire...

Il y a quelques semaines (an 2000), j'ai lu dans Midi-Libre (quotidien local) le même article que j'avais lu il y a vingt ans à l'époque où je suis devenu handicapé, sur une famille qui voulait maintenir son gosse handicapé à l'école ordinaire alors que le nouveau directeur trouvait qu'après trois ans sans problème, il n'était pas à sa place. Ce débat existe depuis cinquante ans, et un gamin en fauteuil à l'école continue d'être "une expérience".

Question : Quand l'intégration scolaire des élèves handicapés moteurs et sensoriels cessera-t-elle d'être une "expérience" pour entrer définitivement dans la vie sociale ordinaire ? Ne peut-on faire en sorte que chaque nouveau venu ne rencontre pas les mêmes obstacles que ses prédécesseurs, et que quelques années après, une autre famille ne doive témoigner de ses difficultés administratives ?

Ne croyez pas que cette question est une généralité, ou une "glose philosophique". Qui ne connaît pas son histoire est condamné à la répèter ! En particulier les institutions. La réponse implique une attitude pratique : L'intégration scolaire doit être une pratique de principe économisant aux handicapés les pertes de temps et d'argent pour régler des "problèmes" déjà X fois résolus... même s'il faut revenir sur les décisions de Vichy.

La victoire d'un enfant, d'une famille, est en soi une grande chose ; mais la vraie victoire sera célébrée quand la scolarité la plus ordinaire ne signifiera plus une guérilla administrative sans cesse réanimée !

Pascal Doriguzzi Juin 2000

Les articles 21 et 22 de la loi du 11 Févrter 2005 sont ainsi rédigés :

Article 21


I. - L'intitulé du chapitre Ier du titre V du livre III du code de l'éducation est ainsi rédigé : « Scolarité ».

II. - L'article L. 351-1 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L. 351-1. - Les enfants et adolescents présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant sont scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires et les établissements visés aux articles L. 213-2, L. 214-6, L. 422-1, L. 422-2 et L. 442-1 du présent code et aux articles L. 811-8 et L. 813-1 du code rural, si nécessaire au sein de dispositifs adaptés, lorsque ce mode de scolarisation répond aux besoins des élèves. Les parents sont étroitement associés à la décision d'orientation et peuvent se faire aider par une personne de leur choix. La décision est prise par la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles, en accord avec les parents ou le représentant légal. A défaut, les procédures de conciliation et de recours prévues aux articles L. 146-10 et L. 241-9 du même code s'appliquent. Dans tous les cas et lorsque leurs besoins le justifient, les élèves bénéficient des aides et accompagnements complémentaires nécessaires.

« L'enseignement est également assuré par des personnels qualifiés relevant du ministère chargé de l'éducation lorsque la situation de l'enfant ou de l'adolescent présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant nécessite un séjour dans un établissement de santé ou un établissement médico-social. Ces personnels sont soit des enseignants publics mis à la disposition de ces établissements dans des conditions prévues par décret, soit des maîtres de l'enseignement privé dans le cadre d'un contrat passé entre l'établissement et l'Etat dans les conditions prévues par le titre IV du livre IV.

« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions dans lesquelles les enseignants exerçant dans des établissements publics relevant du ministère chargé des personnes handicapées ou titulaires de diplômes délivrés par ce dernier assurent également cet enseignement. »

III. - L'article L. 351-2 du même code est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« La commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles désigne les établissements ou les services ou à titre exceptionnel l'établissement ou le service correspondant aux besoins de l'enfant ou de l'adolescent en mesure de l'accueillir. » ;

2° Au troisième alinéa, les mots : « dispensant l'éducation spéciale » sont supprimés ;

3° Au deuxième alinéa, les mots : « établissements d'éducation spéciale » sont remplacés par les mots : « établissements ou services mentionnés au 2° et au 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ».

IV. - L'article L. 351-3 du même code est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « la commission départementale de l'éducation spéciale » sont remplacés par les mots : « la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles » ;

2° Dans le même alinéa, après la référence : « L. 351-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

3° Le deuxième alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« Si l'aide individuelle nécessaire à l'enfant handicapé ne comporte pas de soutien pédagogique, ces assistants peuvent être recrutés sans condition de diplôme. Ils reçoivent une formation adaptée. » ;

4° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :

« Ils exercent leurs fonctions auprès des élèves pour lesquels une aide a été reconnue nécessaire par décision de la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles. Leur contrat de travail précise le nom des écoles et des établissements scolaires au sein desquels ils sont susceptibles d'exercer leurs fonctions. »


Article 22


L'article L. 312-15 du code de l'éducation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« L'enseignement d'éducation civique comporte également, à l'école primaire et au collège, une formation consacrée à la connaissance et au respect des problèmes des personnes handicapées et à leur intégration dans la société.

« Les établissements scolaires s'associent avec les centres accueillant des personnes handicapées afin de favoriser les échanges et les rencontres avec les élèves. »

L'avenir des jeunes atteints d'un handicap dépend de l'application de ce texte progressiste, et de nos engagements pour le faire vivre...

 

P.S. Lundi 28 Août 2000 : une petite Mélanie se voit refuser l'entrée de l'école primaire à cause de son déambulateur. Sans doute le fait d'un(e) quelconque sauveur des vraies valeurs ! Du coup, les copines de Mélanies ne sont pas rentrées dans l'école... Vive les enfants ! Elles savent déjà mettre le grain de sable quand il faut.

(1) Loi du 31/07/1963 instituant l'allocation aux mineurs infirmes : J.O. des débats : Assemblée Nationale, le 27/06/1963, pp. 3748 à 3758. Assemblée Nationale, le 25/07/1963, pp. 4514 à 4516. Sénat, le 18/07/1963, pp.1741 à 1746. Sénat, le 26/07/1963, p.1974.

* Un chapitre est consacré au régime de Vichy dans L’HISTOIRE POLITIQUE DU HANDICAP de l’infirme au travailleur handicapé Pascal Doriguzzi, ouvrage préfacé par Raymond Huard, éditions L’Harmattan, Octobre 1994 (230 pages).

 

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