Joseph
Cadat
J'ai rencontré Joseph, le père de mon ami,
Il y a fort longtemps, je ne sais plus quel été,
Ou un hivers, peut-être m'aurait-il contredit ?
De son silence mûr au regard amusé, il aurait
Prononcé calmement au bout de ma diatribe :
" Mais non Pascal, souviens-toi, c'était en Février ! "
Dans
toutes ces années, où Joseph était là,
Il m'a parlé peu, écouté beaucoup, riant quelques fois
De mes mots amusants, ou trop haut ou trop bas,
Des propos juvéniles qu'il tenait autrefois
Dans l'horizon vibrant et dur chauffé aux rêves Sahara
Où il naquit, adouci par les fleurs de la foi .
Je
me souviens de Joseph Cadat
Quand il m'a reproché de l'avoir tutoyé ;
Je me souviens de Joseph Cadat
Quand à 72 ans, il s'est acheté son premier PC ;
Je me souviens de Joseph Cadat
Quand il ouvrait une bouteille de vin rouge ou doré.
Je
me souviens de Joseph Cadat
Quand il m'a reproché de ne pas l'avoir tutoyé ;
Je me souviens de Joseph Cadat
Quand mon grand chien vif et chahuteur l'inquiétait ;
Je me souviens de Joseph Cadat
Quand en pleine réunion joyeuse il semblait rêver.
Je
me souviens de Joseph Cadat
Quand son silence amusé ou grave m'impressionnait ;
Je me souviens de Joseph Cadat
Quand il regardait Denise parler de Bretagne où elle est née ;
Je me souviens de Joseph Cadat
Quand il parlait de Brieux, Dawi, Marieje, avec fierté.
Je
me souviens de Joseph Cadat
Quand il me parlait d'Anne-Gaëlle, comme il s'inquiétait !
Je me souviens de Joseph Cadat
Quand il avait chaté avec Anna et Marie-Christine, il riait ;
Je me souviens de Joseph Cadat
Quand son e-mail s'inquiétait de mon absence prolongée.
Et
le temps a passé, dictateur implacable,
Hivers après étés, les soucis, les travaux, les luttes
à contrevent,
Tout cet insignifiant qui nous semble important
Lorsque le temps perdu nous désigne coupable
Et nous pose sur la grève des souvenirs d'antan
Quand la vague du présent se retire doucement,
Nous laissant au palais une salive de sable.
Joseph,
avais-tu raison dans ta foi illuminée du soleil saharien ?
Elle qui, sans en parler, te faisait compagnon chaleureux,
Elle te faisait sourire quand un fade zombie, un clone heureux,
Avec des élégances pour ta peau noire, te frappait en sous-main.
Joseph, celui qui t'a connu est un homme chanceux
Et celui qui mesure ces vers trop parlants, ou trop peu,
Gardera pour toujours tes paroles regardées où tu ne disais rien.
Pascal Doriguzzi
Montpellier, le 14 août 2004.
© Pascal Doriguzzi 2004
******
Les textes suivants sont parus dans Aléthéa éd. du Faubourg, 1979, Catalepsis éd. du Faubourg, 1983, Un rouge-gorge a pris la mer éd. des Pays Lointains, 1992.
Tu me manques
à King
Je ne vois pas le temps d'avant
Tu te souviens, toi, de la forêt
Sans nous deux ?
Le temps d'avant
Et nos chasses fantômes l'été ?
J'ai l’odeur de nos attentes,
Le bois et l'encre de l’école
Qui a perdu les flammes lentes
Des promenades sans paroles.
Quel gachi vieux bon à rien
Nos forêts ne m’aiment plus
Il manque un bout de moi,
Un appel indistinct parfois
Depuis que sans moi, tu n’es plus.
Tu me manques, vieux chien.
1982
Le port
Les joues en rougissant à l’idée de la mer
Se vaguent de sueur, se gavent à fleur de nerf
Les mains en agissant sur la bitte de pierre
S'enlisent aux remous de coquilles de fer
Et les navires arriment, généreuses fureurs,
Le sein des villes portuaires suffoqués. Peur.
Des cris surpris au coeur des cornes de brumes
Eclatent le brouillard en langues de dunes
Qui lèchent leur tendresse, étoilent le matin,
Aspirent les cargaisons avides, sucent l'or fin.
Et mille sacrifiés jouissent, forcent, meurent,
S'illuminent au hasard d'étreintes et de malheurs
Et mille entrepôts entassent l'Orient, l'Afrique,
Dans les caisses où fulminent les songes mirifiques.
Enfin une vague et une compagnie
Les bistrots, les bordels, les filles assagies,
Sur des bittes de pierre rendent heureux leurs amants
Et les marins joyeux.
Et tu voyages impatient
De joues qui rougissent à l'idée de la mer
Se vaguent de sueur, se gavent à fleur de nerf.
1983
Marie-jo
Les petits pieds de Marie-Jo
Ne troublent plus le sable chaud.
Ses petites mains déliées
Caressent la taie de l'oreiller.
Les longues jambes de Marie-Jo
Invitent à l'amour aussitôt,
Mais son duvet tendre et câlin
N'appellera plus les coquins.
Les petits seins de Marie-Jo
Aguichent comme des sucreries,
Mais J'ai garde de les toucher
De crainte de la déranger :
Marie-Jo est bien trop jolie,
Découpée en petits morceaux.
Été 1979
Le rocker
à l'inconnu
Un jeune rocker a quitté l'hospital
Pour se rendre citez ses copains
Où jusqu'au matin qui s'étale,
On boit un dernier verre de vin.
"J'aurai dix huit ans cette nuit,
Vous m'apporterez vos blousons
Je vous attendrai mes amis
Surtout ne me faites faux bond."
La chemise dans le pantalon
Les cheveux tirés en arrière,
Torréadors la mort méprisant,
Le blouson ils jetèrent dedans
Le caveau avant la prière,
Au cimetière d'Avignon.
Sept. 1979
Le Préfet
À Joëlle
Ma société d'économie mixte
Ma personne morale corporative
Ma distilleuse de capitaux fixes
Secteur public à la dérive,
Bonne fée des expropriations
Distilatrice des corps sociaux,
Mon amour aimée, ma commission
Viens, nous refermerons l'étau
De cet étatisme implanifié
Viens, les excroissances périphériques
Pénètreront les exigences
Des dévoreuses effervescences
Et nous ferons l'amour capitalistique
Viens, mon amour : je suis préfet.
Automne 1980
© Copyright Pascal Doriguzzi 2000