Je livre ici quelques courriers illustrant les tatonnements, les errements à propos des discours et grand'messes sur l'insertion, le droit à la différence, l'intégration, et ce genre de choses... Ils disent aussi les contradictions "culturelles" auxquelles les "autres" sont confrontés dans nos sociétés démocratiques. Leurs destinataires sont "pris à témoin" ; aujourd'hui ces expériences me semlent utiles à publier.

 

Pascal DORIGUZZI Le 27/10/1993,à Dominique D. Paris

Cher Monsieur,

Je vous adresse enfin le manuscrit final de mon ouvrage, que je vous avais promis pour le mois de Juillet dernier. Mon retard s’explique par le changement d’axe de travail intervenu dans le cours de ma recherche : Mon plan initial était la période contemporaine depuis la naissance du "travailleur handicapé".

Ma rédaction, aboutie en Mai, regorgeait de notes et de rappels sur l’explication historique des concepts environnant le statut politique du handicap, "l’humanisme", "la solidarité", "l’assistance publique", la construction historique du "travailleur handicapé". J’ai modifié ma problématique et j’aboutis au texte que je vous adresse, beaucoup plus riche que mon projet initial.

Au cours de mes recherches, je n’ai pas trouvé de travail fondamental sur le "handicap" comme fait politique. HJ. STIKER travaille sur l’histoire de "l’infirmité" dans les grandes civilisations : Antiquité Hébraïque, grecque, latine, le Moyen-Âge, et le monde industriel. S. HEBERSOLD analyse le passage de "l’infirme" au "handicap" par le processus de la "rééducation-réadaptation". MASSON oeuvre à partir de la médecine et du droit. Les rapports officiels traitent d’aspects très précis, et dans un but directement pratique (BLOH-LAINÉ, HERNANDEZ, LASRY et GAGNEUX). Le seul ouvrage que j’ai rencontré sur le handicap comme fait politique est de LIACHOWITZ de Philadelphie (USA.) ; il concerne la situation contemporaine.

Sans forfanterie de ma part, j’ai réalisé un travail pionnier ; Le thème est considéré comme intéressant une "minorité", à tort, car l’histoire politique du handicap ouvre des questions sociales d’une actualité brûlante pour toute la société occidentale. Mon manuscrit est une vue d’ensemble dont les handicapés, travailleurs sociaux, administrateurs, corps médicaux expriment le besoin : Pas une initiative administrative, associative ou politique, pas une réunion de handicapés ou sur les handicapés, qui ne constate la carence d’un savoir sur l’histoire des politiques du handicap. C’est un champ nouveau pour la science politique.

J’ai des contacts dans les réseaux d’associations au niveau local et national, dans la sécurité sociale et les syndicats médicaux et paramédicaux, certaines collectivités locales... Tous attendent la sortie du livre pour le faire acheter par leurs organismes. De plus, j’ai des activités univer-sitaires qui aideront sa diffusion.

J’ai longuement corrigé mon texte, mais il se peut qu’il contienne encore quelques fautes de français (?) Veuillez m’en excuser. D’autre part, je travaille sur l’ordinateur "Macintosh LC II" traitement de texte "Word 5-1.a". Je peux vous adresser un "prêt à clicher", mais je ne sais pas comment on numérote les pages, c’est pourquoi elles sont paginées au stylo.

J’espère que vous ferez un accueil favorable à mon ouvrage. Il est le fruit d’années de travail, d’efforts et de sacrifices importants. Le temps passé à une chose lui donne sa valeur (ça n’est pas de moi). C’est la raison de la force de mon attachement.

Recevez, Monsieur D., mon cordial salut

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Note : Les noms de personnages en cause ici sont masqués pour ne pas être soupçonné de médisance facile...

M. Pascal DORIGUZZI Politologue le 10.08.1995. à Alain M., Université Paul Valéry, afin de faire cesser une mascarade....

Salut Alain,

J'espère que tu vas bien en ce lourd climat pénible.

Je t'écris pour te dire qu'il est inutile de m'envoyer les factures de l'Association de Recherche sur les Politiques.... D'abord, quand vous m'avez demandé de présider votre association, c'était à vous entendre "pour signer une convention avec l'UPV. afin d'embaucher Pierre B." Bien que j'ai trouvé cela curieux, j'ai accepté, par sympathie pour Pierre. Vous ne m'avez jamais demandé de signer la déclaration de modification du bureau de l'Association de Recherche sur les Politiques.... conformément à la légalité. Mais de plus, la convention avec l'Université pour laquelle vous m'avez demandé de venir a été signée par l'ancien président del'Association de Recherche sur les Politiques...., Michel C. La raison que vous invoquiez n'y était donc pour rien... Va savoir...

Mais il y a plus important. Vous invitez Robert Castel pour une journée sur "Les métamorphoses de la question sociale" - Robert Castel est très intéressant, il est de mes références, ça n'est pas la question -, mais sauf si vous avez la lecture sélective, mes travaux portent aussi là-dessus. Vous voulez que je "préside" mais il ne vous vient pas à l'esprit de me faire participer comme chercheur. Toi et les membres de l'Association de Recherche sur les Politiques...., vous ne devriez plus écouter les dames d'oeuvre qui s'obstinent à ne voir que mon fauteuil roulant. Le plus grave n'est pas là.

Certains adhérants à l'association, ne manquent pas une occasion de me calomnier et de dénigrer mon travail ! [Note : Des professeurs agrégés de différentes villes m'ont écrit à ce propos] Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi je signerai des factures. ..../...

Ne t'imagine pas que ma-réaction-est-due-à-mon-handicap comme disent les psychologues de comptoir au syndrôme développé. J'ai des des témoignages d'enseignants sur ce que j'avance. .../...

Reçois mes souvenirs néammoins amicaux...

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Le 17 Mars 1998 à mon Frère Jean Cardonnel, Dominicain,

à un Député Maire pour information,

ce texte adressé ce jour (19 Mars) à La Marseillaise de l’Hérault

Cher ami,

J’ai lu un article très intéressant à propos de Tony Negri en page 13 de La Marseillaise de l’Hérault le Mardi 17 Mars 1998.

J’ai rencontré Tony Negri plusieurs fois, à Paris et à Montpellier ; sa production littéraire a beau-coup comptée dans ma formation théorique : Marx au-delà de Marx, L’anomalie sauvage..., Italie rouge et noire... Je n’ai jamais cru que cet homme ait à voir avec des actions terroristes ou assimilées. Je pense que Tony Negri a été victime d’oppositions et de jalousies universitaires, de ces mesquineries si encombrantes dans l’univers de la recherche, relayées par l’ambiance politique italienne à l’époque entre les brigades rouge, la mafia, et les groupes fascistes...

Bien que Docteur en Science politique, auteur d’articles et d’ouvrages, et connu par beaucoup des signataires de la pétition de soutien à Tony Negri, je n’ai pas été invité à signer cette lettre, bien qu’une pétition, par définition, soit toujours l’objet d’un appel public. Mais passons. Souhaitant moi aussi la libération de Tony Negri, je suis à la fois amusé et consterné de constater la présence sur cette revendication de personnalités à l’humanisme sélectif. En effet, si l’antiracisme et l’égalités des sexes font figure de drapeaux dans cette avant-garde ("ouvrière" n’en doutons pas !), être porteur d’un handicap est malvenu quand le chercheur produit un travail scientifique de qualité.

Je suis atteint d’un handicap physique ; je me déplace sur un fauteuil roulant depuis 20 ans. J’ai 40 ans, et j’ai travaillé pendant des années dans des conditions d’isolement que peu de chercheurs accepteraient de vivre. J’ai commencé mes recherches sur les politiques du handicap en 1984, après mon D.E.A. de Science politique. Dans le laboratoire de mon Directeur de thèse on travail-lait sur les politiques locales décentralisées. De ce fait, mon sujet de thèse La III° République et la solidarité : la socialisation de l'infirmité a été très vite marginalisé. De plus, je disposais de très peu de moyens financiers : je n’avais que l’Allocation aux Adultes Handicapés, ce qui est largement insuffisant pour financer une recherche - j’ai écris ma thèse sur une machine à écrire, ce qui semble aujourd’hui incroyable -. J’ai pu payer mes livres à tempérament grâce à une amie libraire aujourd’hui disparue. Mes déplacements et entretiens (à mes frais) étaient très limités.

De plus dans la même période, j’ai dû affronter des difficultés de santé et des événements familiaux douloureux. Je suis d’origine modeste, de grands parents immigrés italiens et vietnamiens, et de famille ouvrière puis fonctionnaire. J’étais le premier jeune de la famille - élargie - à suivre des études supérieures ; il m’a fallu du temps pour acquérir un savoir, apprendre des rapports humains avec lesquels la plupart de mes camarades d’études étaient familiarisés depuis longtemps ; j’ai dû « me construire une culture » si vous me permettez cette expression.

Après ma soutenance, je n’ai obtenu aucune réponse positive à mes demandes de soutien dans ma recherche d’emploi, sinon des remarques énervées, ironiques ou pitoyables à propos de mon handicap. Certains de mes travaux sont utilisés dans des mémoires, dans une thèse de Droit, des enseignants s’en servent parfois dans leurs cours, ce qui confirme l’intérêt de ma recherche. Après ma soutenance, j’ai publié des articles, j’ai participé à des groupes de recherche. J’ai travaillé sans soutien ni moyen matériel durant des années. Fin 1993, j’avais terminé mon premier ouvrage L'Histoire politique du handicap, de l'infirme au travailleur handicapé. J’ai eu la chance de rencontrer Denis Pryen, Directeur des Éditions L’Harmattan, passionné par mon livre, et qui m’a publié dans sa collection « Pratiques Sociales » en Octobre 1994. La Marseillaise de l’Hérault y avait consacré une page à l’époque.

Dès la parution de l’ouvrage, une association de chercheurs de l’Université Paul Valéry intéressée aux sujets « sociaux » m’a demandé de collaborer, pour disait-on, m’associer à des recherches. Un jeune chercheur Pascal N-S est venu chez moi avec son épouse pour me convaincre de me joindre à cette équipe, dont Marie-Louise C., Laurence D., Michel C., entre autres, font partie. Avec eux disait-il, je serais intégré aux travaux, et petit à petit, j’accéderai à un quelconque statut universitaire. J’allais enfin sortir de l’isolement et de la précarité... En échange de quoi l’association en question inscrivait mon livre dans ses parutions.

Une autre réalité m’est apparue clairement lorsque j’ai été Nolens Volens tenu à l’écart de la préparation d’un sujet de colloque que j’avais moi-même proposé sur « Les politiques du handicap en Europe du Sud ». Á part de sympathiques "Bonjour, ça va ?" tout ce petit monde ne me parlait plus de rien sur la recherche, l’enseignement ou seulement les travaux en cours... Des notes de lecture sur mes travaux paraissent dans la Revue Française des Sciences Politiques, Les Temps Modernes, la Revue de Droit Public, une revue en Hollande, une autre en Allemagne. On m’associe à des conférences à Paris, Chambéry, le centre et l’est de la France, l’Italie, l’Allemagne. Il n’y a que dans le Département de l‘Hérault où je n’ai pas d’écho...

Je vous raconte cette histoire parce que certains signataires de la pétition sont partie prenante de mon exclusion universitaire et sociale. Par exemple je me souviens des années après, du "conseil" que m’avait donné Michel C. le 22 Décembre 1988 quand je lui ai dit que j’allais soutenir ma thèse : "Ce n’est pas la peine de soutenir ta thèse, puisque tu n’auras jamais de poste dans l’enseignement ou la recherche du fait de ton handicap." (Textuel !) Rien d'étonnant à cela, puisque ce même roi des Zautres m'avait lancé à la figure, le 5 Novembre 1986 : "Inutile de te lancer dans la recherche, si tu n'as pas de relation au Ministère !"... puis le 25 Mai 1989, quinze jour après mon Doctorat, il m'a miéleusement demandé : "Donne-moi ta documentation puisqu'elle ne te servira plus !" Un autre exemple, celui de Pascal N-S. en 1994 : "Tu ne tiens pas compte de l’effet que produit ton handicap sur tes interlocuteurs !" (J‘ai des témoins).

Défenseurs des Droits de l’homme ces gens là ? Mais de quoi parle-t-on ? Ils seraient "de gauche" ? Suffit-il de faire des phrases pour en être, de s’écouter parler, de jouer à la révolution, puis à la social-démocratie, puis aux Droits de l’homme en suivant le sens du vent ? Les Droits de l’homme ne sont pas une psyché. Et tout comme l’homme, ils ne se divisent pas. Certains personnages n’ont rien à y faire.

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