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Par contraste, dans la troisième affaire, la juge Rivet, du Tribunal
des droits de la personne, a favorisé une « interprétation
large du terme handicap ». Elle a conclu que lévaluation
ou lidentification dun handicap pouvait être objective ou
purement subjective, et que refuser un emploi à une personne à
cause dun handicap perçu nen constitue pas moins de la discrimination
fondée sur le « handicap ». Elle a par conséquent
accueilli la plainte concernant les droits de la personne qui avait été
portée par le troisième plaignant.
La Cour dappel du Québec a convenu avec la juge Rivet que le terme
« handicap » devait être interprété largement;
elle a observé que cette position était conforme aux normes constitutionnelles
établies par la Charte canadienne des droits et libertés et par
de nombreuses décisions jurisprudentielles selon lesquelles les lois
relatives aux droits de la personne devaient recevoir une interprétation
libérale et téléologique qui soit flexible et permette
à la loi dêtre adaptée aux conditions sociales changeantes
et à lévolution des concepts relatifs aux droits de la personne.
Les employeurs ont porté cette décision en appel devant la Cour
suprême du Canada, un geste étonnant, considérant la force
des précédents à lappui de la décision de
la Cour dappel.
En effet, la Cour suprême du Canada a fermement confirmé la position
de la Cour dappel. Dans un jugement rendu à lunanimité,
la juge LHeureux-Dubé a réitéré lidée
fondamentale que :
Les objectifs de la Charte, soit le droit à légalité
et la protection contre la discrimination, ne sauraient se réaliser à
moins que lon reconnaisse que les actes discriminatoires puissent être
fondés autant sur les perceptions, les mythes et les stéréotypes
que sur lexistence de limitations fonctionnelles réelles. La nature
même de la discrimination étant souvent subjective, imposer à
la victime de discrimination le fardeau de prouver lexistence objective
de limitations fonctionnelles est lui imposer une tâche pratiquement impossible,
car les limitations fonctionnelles nexistent souvent que dans lesprit
dautres personnes, ici lemployeur.
Il serait étrange que le législateur ait voulu intégrer
au marché du travail les personnes atteintes de handicaps présentant
des limitations fonctionnelles alors que les personnes sans limitations fonctionnelles
en seraient exclues. Cela semble la négation même de la notion
de discrimination.
Jestime alors que lobjectif anti-discriminatoire de la Charte exige
que le motif « handicap » soit interprété de façon
à reconnaître son élément subjectif. Un « handicap
» comprend donc des affections qui noccasionnent en réalité
aucune limitation ou incapacité fonctionnelle.
La Cour suprême a noté quun certain nombre daffections
ont déjà été reconnues susceptibles de donner naissance
à une plainte de discrimination fondée sur le handicap, bien quelles
naient pas entraîné (à lépoque) de limitation
fonctionnelle; la séropositivité en fait partie, selon les conclusions
de laffaire Thwaites, qui concernait un membre séropositif des
forces armées. La Cour a également conclu expressément
que, bien que les fondements biomédicaux du « handicap »
doivent être pris en considération, pour les fins de la législation
anti-discrimination.
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Il importe daller au-delà de ce seul critère. Cest
alors quune approche multidimensionnelle qui tient compte de lélément
socio-politique savère très pertinente. En mettant lemphase
sur la dignité humaine, le respect et le droit à légalité,
plutôt que sur la condition biomédicale tout court, cette approche
reconnaît que les attitudes de la société et de ses membres
contribuent souvent à lidée ou à la perception dun
« handicap ». Ainsi, une personne peut navoir aucune limitation
dans la vie courante sauf celles qui sont créées par le préjudice
et les stéréotypes. [...] Ainsi, un « handicap » peut
résulter aussi bien dune limitation physique que dune affection,
dune construction sociale, dune perception de limitation ou dune
combinaison de tous ces facteurs. Cest leffet de lensemble
de ces circonstances qui détermine si lindividu est ou non affecté
dun « handicap » pour les fins de la Charte. [...] Lanalyse
multidimensionnelle [...] vise non seulement la suppression de la discrimination
à lendroit de personnes handicapées, elle cherche également
à mettre un terme au [Traduction] « phénomène social
du handicap » [...] et, de façon plus générale, elle
vise la suppression de la discrimination et de linégalité.
Cette orientation claire de la part de la Cour suprême est la bienvenue,
particulièrement parce quelle continue de placer les considérations
liées à la dignité au centre de lanalyse des droits
à légalité et quelle met laccent sur
le contexte social dans lequel la discrimination survient, en évitant
les interprétations techniques et étroites de la loi qui auraient
pour effet de priver de nombreuses personnes dune protection adéquate
contre la discrimination.
1. Québec (Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville);
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse)
c. Boisbriand (Ville); 2000 SCC 27, [2000] SCJ no 24 (QL).
2. L.R.Q., ch. C-12, art.10, 16.
3. Ibid., art. 20.
4. Loi assurant lexercice des droits des personnes handicapées,
L.R.Q., ch. E-20.1, art. 1(g).
5. (1996) 25 C.H.R.R. D/407 et D/412, [1995] J.T.D.P.Q. no 4 et no 5 (QL) (T.D.P.Q.).
6. (1996) 25 C.H.R.R. D/474 (T.D.P.Q.).
7. [1998] R.J.Q. 688, 33 C.H.R.R. D/149, [1998] QJ no 369 (QL) (C.A.).
8. Québec (C.D.P.J.) c. Montréal; Québec (C.D.P.J.) c.
Boisbriand, supra, note 1, par. 39-41 (QL).
9. Twaites c. Canada (Forces armées) (1993), 19 C.H.R.R. D/259 (T.C.D.P.).
10. Québec (C.D.P.J.) c. Montréal; Québec (C.D.P.J.) c.
Boisbriand, supra, note 1, par. 77, 79, 83 (QL)