Cet article emprunte beaucoup à mon ouvrage L’HISTOIRE POLITIQUE DU HANDICAP de l’infirme au travailleur handicapé. Il est est paru dans la revue Esméralda (Revue périodique Sans Date Fixe) N°1 en Avril 1997, lancée en Languedoc-Roussillon. Cette publication circule sous le manteau et dans les milieux marginaux autorisés... mais par qui ? Seuls les justes le savent !

 

DU CHRISTIANISME À LA MARGINALITÉ,

Le prélude théologique à l'exclusion contemporaine

Pascal Doriguzzi, Mai 1995

 

Nous employons facilement le vocable "exclusion" dans le langage quotidien. Pas une journée où il ne figure dans nos débats politiques, nos journaux, nos engagements. Il désigne le Sans Domicile Fixe, le chômeur, le handicapé, la pauvreté en général, bref l'interdit de parole, l'inaudible - non le « sans voix », mais celui qu'on ne veut pas entendre -. L'exclusion sociale semble une fatalité inévitable à nos sociétés occidentales discutablement civilisées, comme la rougeole ou le temps qui passe. Or, l'exclusion correspond à une échelle de valeur admise par nos représentations mentales. Le concept culturel de la société scindée en centre-périphéries-marges (société exclusive) est repérable historiquement.

Il se construit à partir de la fin du Moyen-âge lorsque la société d'Ordres connaît de nouvelles divisions, et que le monde chrétien partage sa vision du monde, jusqu'alors indivisible Création. L'histoire de l'infirmité à cette époque l'illustre. La culture judéo-chrétienne modèle l'infirmité (du latin "infirmus", faible, alors que "firmus" est la racine de fort). Elle porte l'histoire d'un rapport social organisé au Moyen-âge par l'apostolat chrétien et le rapport de l'Église avec la pauvreté. Les sociétés féodale puis médiévale considèrent l'infirmité comme une forme de la misère parmi les autres, une pauvreté dans le monde des pauvres. Il y a des pauvres dans l'ordre de Dieu, au même titre que des nobles ou des clercs. En ce sens là, l'infirmité fait partie de la pauvreté, et avec elle des ordres du monde. Cette conception n'exclut pas l'infirme, qui reçoit secours ou mépris avec les vagabonds et les indigents.

Notre réflexion commence au glissement conceptuel du XIII° au XV° siècle, modification profonde de la pensée qu'a la société sur elle-même. L'infirmité change de place en même temps que la pauvreté, devenant un monde "à part". "Les autres" ne font plus partie dune unité, la Création. Si la Renaissance et l'humanisme sont des ouvertures de la société sur des horizons extérieurs, elles s'accompagnent d'une division interne du monde, érigeant de nouvelles frontières sociales. Ce moment constitue la genèse des interprétations contemporaines de l'ordre social, un monde scindé non seulement en Ordres (noblesse, clergé, tiers-état), mais déjà en castes et guildes (banquiers, marchands ... ) à qui le salariat urbain permet des productions et des échanges plus productifs que le servage et l'agriculture. Ceci a peu à voir avec le mode de production industriel contemporain. Pourtant les critères de réussite sociale propres à la naissance de l'humanisme sont ceux de la société occidentale contemporaine: argent, influence, statut relevant de la place dans la hiérarchie sociale. Des temps si différents ayant des points communs idéologiques...

 

1/ L'infirme dans l'ordre du monde

Être pauvre ou infirme au Moyen-âge signifie vivre ou survivre des aides familiales, de voisinage, ou de la charité paroissiale (diaconale), lorsque la famille indigente conserve son réseau social en restant dans son village ou sa paroisse. Mais l'infirme vit souvent avec les pauvres sur les routes, d'errance, de mendicité, et parfois, pour les plus valides de truanderie 1. La tradition hospitalière des abbayes consiste à recevoir pauvres, infirmes et voyageurs (L’Évêque Grégoire de Tours au VI° siècle, ou Benoit d'Aniane au IX° siècle perpétuent cette pratique qui perdure jusqu'au XV° siècle). L’hostellerie s'y divise en deux corps distincts: l'hospital pérégrin pour les voyageurs, pèlerins, marchands, et l'hospital infirmus pour les vieillards, malades, infirmes. Toutefois, la règle de l'hospitalité se limite dans le temps et le voyageur mendiant ou marchand repart vers l'errance ou la fortune. Les malades ou infirmes hors d'état de voyager peuvent seuls espérer plus ample charité. De toute façon, l'état des connaissances médicales, de l'hygiène et de l'alimentation des pauvres réduit leur espérance de vie. Dans ou hors de la cité de Dieu, ils ne font que passer.

Au Moyen-âge, il y a peu d'alternative pour l'infirme autres que l'aumône ou la charité chrétienne. Saint Éloi justifie la charité en disant que "Dieu a fait les pauvres pour que les riches puissent racheter leurs pêchés". La conception chrétienne du monde est une vision d'unité sociale. Les divisions en Ordres, entre nobles, clercs, et le peuple laborieux, voulues par Dieu constituent un seul et même univers, où l'infirme a une place (objet de charité) et une fonction (racheter l'âme des nantis). Cette unité conceptuelle contient une dualité dans la représentation sociale de l'infirme: il est à la fois admiré parce que fort de sa proximité avec le Christ (il souffre pour les pêchés des hommes) et détesté pour l'angoisse obscure que suscite sa souffrances 2. Admiration qui attire et crainte qui éloigne...

La scolastique, mode de pensée des élites à l'époque, reste l'apanage de Docteurs, fermée, relevant du milieu ecclésiastique (le plus souvent réaliser) et universitaire. Pourtant elle reflète les interrogations d'une féodalité en mouvement, d'un XIII° siècle traversé par les limites du servage et de la vassalité, l'incandescence des hérésies, la montée en richesse des marchés urbains. Débat feutré, presque secret tant il semble ne concerner qu'une frange infime de la population, avec un langage et une méthode propres... La question sociale transparaît pourtant, sous l'apparente ingénuité des thèmes (Aristote, la "sacra doctrina" et la philosophie, rationalité et Révélation ... ) Quelle est la part de Dieu, et celle de l'homme dans la Création ? Autrement dit, l'ordre du monde et ses injustices, sa misère, ses investitures et ses querelles sont-ils dus à la volonté divine ou au libre arbitre de l'homme (le péché originel) ? Jean Duns Scot pense la Révélation comme l'origine de la création mais lie la rationalité au péché originel. Guillaume d'Ockham refuse de considérer l'homme comme entité, pour ne parler que "des hommes" et la connaissance intuitive transmise à chacun par la foi : la liberté de la science est une donnée divine. La philosophie d'Aristote introduit la légitimité de la science dans le débat scolastique. La via antiqua, méthode de la scolastique officielle, affirme la liberté de Dieu.

L'aristotélisme pense la relativité de cette puissance : "Dieu a-t-il créé les éléments qui sont le monde, aurait-il pu le faire autrement ?" Il ouvre la voie à la "via moderna", soutenue notamment par Guillaume d'Ockham. Dieu crée des lois à l'intérieur desquelles les hommes sont libres. La Création lie l'ordre des hommes à leur libre arbitre. L'ouverture permet l'éclosion de l'esprit scientifique et le renouveau de la philosophie. Ceux qui ont la parole vivent traversés par les enjeux politiques de leur temps, aux abords des ruptures de leur univers que représente la guerre de cent ans : faut-il garder le monde tel que Dieu l'a confié aux hommes, ou doit-on le modifier ?

Le passage d'une domination économique rurale à une puissance urbaine bouleverse la société. Désormais, la richesse et le pouvoir ne résident plus uniquement dans le contrôle de domaines fonciers. Ils résultent de l'artisanat des corporations urbaines développant le salariat, et surtout de l'échange commercial entre les cités et les nations. L'accumulation primitive du capital prend son essor. L’horizon culturel ne s'arrête plus à l'église du village, mais prend pour nom Paris, Gênes, Florence, Gand... L'autonomie politique des cités se renforce et le poids des notables bourgeois s'accroît dans les instances de décisions locales (prévôté des marchands) et royales (rôle des parlements dans les affaires fiscales ... ) L'ère médiévale produit une doctrine définissant positivement l'idéal humain : l'homme réussit grâce à ses vertus, son courage, son intelligence, toutes les qualités données par Dieu à chacun. Celui qui échoue ne le doit qu'à lui même. Le pauvre devient l'envers du décor, la pauvreté une catégorie "à part" de la "vraie vie", de la richesse, de l'influence sociale, de l'éloquence, de la séduction, bref, à part de la société 3. L’humanisme de la Renaissance et de la Réforme inaugure une vision du monde radicalement nouvelle. Les hommes ne sont plus frères à la manière de François d'Assise. Ils deviennent divisés, non seulement en Ordres mais déjà en classes distinctes. La moderne philanthropie leur sert de lien idéologique. Les personnes infirmes bénéficient de la bienfaisance d'institutions urbaines. Les règlements municipaux de police des pauvres leur laissent le droit à la mendicité, contrairement aux pauvres valides 4.

 

2/ L'invention conceptuelle de l'exclusion sociale.

L'infirme du monde féodal est comptable de la double attitude « admiration/ répulsion ». Celui des Temps Modernes et des villes change d'objet. Il devient porteur d'un double langage articulé sur l'alternative « méfiance/ pitié - charité/ répulsions » 5. Cette attitude rompt avec la relation idéalisée dans la fraternité divine, en remplaçant la mystique confessionnelle par la morale laïque. L'infirmité est une image d'angoisse, suscitant le mépris ou la pitié dans un univers où la guerre de Cent ans, les pestes et les pénuries, inquiètent, et durcissent les règles de la vie sociale. Le pauvre relève d'une morale plus que de l'amour du prochain, et son traitement concerne l'ordre public. Les autorités royales et les parlements prennent de plus en plus d'importance par rapport aux autorités religieuses, dans le secours aux infirmes. Le nombre de pauvres de toute nature au XV° siècle impose l'intervention des puissances laïques municipales (prévôts) et royales (baillis). Le fond de la question se trouve dans l'institutionnalisation laïque de la charité.

L'amour du prochain défendu par le Poverello représente un rapport discret entre le donateur et le receveur, ayant Dieu pour seul témoin. La philanthropie, la bienfaisance le remplacent et deviennent gestes honorifiques dans la cité, ostentatoires, signes extérieurs de richesse. Le riche a ses oeuvres, ses dons à l'échevinage pour l'entretien des infirmes par exemple. Le Grand Renfermement au XVII° siècle analysé par Michel Foucault n'est pas encore à l'ordre du jour 6. Mais le dispositif idéologique consistant à considérer le fou, le mendiant, la prostituée, l'infirme comme un autre monde, "hors de la société", se construit à ce moment là, dès l'accumulation primitive du capital. Confiée à des institutions caritatives l'infirmité est "ailleurs", même si elle se rencontre encore dans la mendicité.Les XIV° et XV° siècles partagent l'hospitalité à l'infirmité entre la fraternité chrétienne et la morale laïque, entre la charité et "l'humanitarisme" laïc. Il n'y a ni rupture ni opposition des conceptions de l'infirmité qui reste image du Christ souffrant, et pitoyable étranger au monde. L’infirmité devient extérieure au monde, dans une définition sociale telle qu'elle n'y existe qu'en objet moralisé par la philanthropie, sans le présupposé mystique d'être un racheteur d'âme. La conception moderne de la société divisée entre le centre (le pouvoir économique et politique), la périphérie et les marges, apparaît dans la période du XIII°-XV° siècles avec l'accumulation primitive du capital.

La culture humaniste sépare les éléments du monde social dans une idéalisation de la réussite, de la richesse, rejetant la pauvreté comme l'infirmité hors de l'idéal social. La personne infirme devient ainsi exclue, habitante d'un ailleurs parce que la morale laïque désacralise le monde, le démystifie. L’absolutisme royal parachève le mouvement en instaurant des frontières géographiques à l'espace social de l'infirmité. Il délimite celui-ci aux asiles et maisons de force où il confine les infirmes (entre autres). L’hôpital entretenu par l'échevinage ou la dotation royale désoblige la charité chrétienne vis à vis de l'infirmité. Plus tard, quand Louis XIII fonde l'Hôpital Général en 1656, il agît sans le concours de la Grande Aumônerie du Royaume, instance ecclésiastique autrefois gérante de l'intervention institutionnelle de l'Église. L'autorisation de mendier est remise en cause par l'édit royal de 1656, qui interdit ce "métier aux valides ou invalides" 7. Il faut de nettoyer la ville, cacher ses misères, matérialiser derrière les murs d'internement l'idéologie séparant la société de ses marges.

L'infirme retrouve une place non dans la société, mais dans un monde marginalisé, enfermé, moralisé. Désormais, charité devient enfermement. Si les ordres religieux et instances ecclésiastiques ne dirigent plus l'intervention vis à vis des pauvres, ils occupent souvent la gestion des oeuvres hospitalières (Soeurs de Charité à l'Hôpital Général de Paris, Soeurs grises à l'hôtel-Dieu). La laïcisation de la société la scinde en éléments sociaux différenciés, en mondes autonomes reliés entre eux non plus par une valeur commune (religion) mais par des intérêts de classes. La philanthropie et l'humanitarisme représentent la justification idéologique des distinctions de classes à l'âge classique (XVII° siècle), concepts reproduits dans les siècles postérieurs. Ils sont propres au capitalisme en gestation et constituent le ferinent de l'imaginaire social contemporain. Dès la fin du XV° et le XVI° siècle, s'élabore le type de pensée moderne admettant l'idée d'êtres humains "à part" de la société 8. Le monde a changé de sens : d'une unité dans la Création divine, où les rôles sociaux sont distribués par l'appartenance aux Ordres 9, la société devient multiple, divisée en classes, entre "la vraie société" (ceux qui comptent) et les "autres". Le Grand Renferrnement au XVII° siècle ajoute des murs et des chaînes au concept de distinction sociale. Il amalgame toutes les marginalités dans les lieux d'internement comme l'Hôpital Général de Paris : mendiants, vagabonds, aliénés, infirmes, vieillards, prostituées, populations autrefois réunies sous le générique de « pôvre » (terme employé au XIV°-XV° siècle, « le pôvre » désigne la misère en général).

3/ De l'exclusion à l'assistance publique.

La Révolution de 1789 suscite la création du Comité de Mendicité présidé par le Duc de La Rochefoucauld-Liancourt. Il élabore une politique révolutionnaire pour réduire la misère et circonscrire la mendicité. Il propose une action d'ensemble vis à vis des chômeurs et mendiants, mais aussi des vieillards, infirmes et incurables. Le comité siège de Février 1790 à Septembre 1791. Il reprend l'idée de Diderot et de la philosophie des Lumières: l'État doit prendre en charge certaines catégories sociales dont les invalides de guerre, les aveugles, etc. Les rapports du Comité présentent l'assistance par l'Etat comme solution à la question de l'infirmité. Ils recommandent le financement des hôpitaux par la puissance publique, l'organisation d'aide à domicile, mais aussi un salaire inférieur a priori pour ceux qui travaillent dans les ateliers pour infirmes.

En cette fin du 18° siècle, l'assistance publique est un projet moderne, novateur et révolutionnaire (au sens jacobin du terme). Il semble une alternative solide aux interventions de l'administration royale et ecclésiastique dans les secours à la pauvreté. Le duc de la Rochefoucauld-Liancourt la présente comme un "devoir" lors du premier rapport à l'Assemblée: "... elle ne doit plus être regardée comme un bienfait... Cette bienfaisance n'est pas l'effet d'une sensibilité irréfléchie, elle n'est pas même une vertu compatissante, elle est un devoir, elle est une justice". L’avènement politique de la bourgeoisie en 1789 pense l'infirmité à sa place, à côté de la société, qui reconnaît son devoir d'assistance envers ceux incapables de subvenir à leurs besoins.

Sur cette représentation de la société fractionnée en centre, périphérie, marges... la Révolution française n'innove pas. Elle reproduit et conforte les critères humanistes de l'idéal positif de l'homme social. L’éthique du mérite, de la vertu et de l'effort, de la volonté source de l'enrichissement matériel, bref, les vertus prêtées à chacun par la philosophie des Lumières, se substituent au Droit du sang comme origine de l'influence et du pouvoir (aristocratie). Les pauvres, mendiants et indigents demeurent l'envers du décor social, objets craints ou pitoyables, présumés incapables de valoriser leurs potentialités et toujours soupçonnés d'oisiveté.

Les personnes infirmes deviennent Égaux en Droit conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, mais le plan du Comité prévoit des ateliers de travail dans lesquels "on prend soin de leur verser un salaire journalier inférieur au salaire ordinaire" 10. La mendicité des valides reste passible d'enfermement, celle des invalides, tolérée. La reconnaissance politique de l'égalité en droit va de pair avec un statut législatif assurant la marginalité des infirmes: droit d'être un citoyen - travailleur sous-payé et la faveur juridique du droit à la mendicité... La religion représente la pensée politique de l'Ancien Régime, en pleine guerre civile, dans une Révolution menacée par des coalitions étrangères. Marcel David y voit la source des difficultés pour la Fraternité à prendre corps dans la Révolution aux côtés de « Liberté, Égalité »... Le rôle du christianisme dans le contrôle social des marginaux et les oeuvres caritatives séculaires des églises, chrétiennes puis réformées, confèrent un soupçon de "religiosité" à l'initiative privée 11. L'engagement chrétien auprès des malades et indigents pendant des siècles, marque le rapport de la société et de l'infirme.

Citoyens de plein droit, on en appelle pour eux à l'Assemblée Constituante, "à la charité de Messieurs les Députés", "aux hommes sensibles", "à la bienfaisance particulière et individuelle". Termes que ne renieraient ni un clerc ecclésiastique, ni un franciscain contemporain de ces événements. L'infirmité ne subit pas de changement conceptuel. Qualifié de "citoyen" l'invalide reste un objet de charité, enfermé avec d'autres marginaux le plus souvent. Il conserve le cocon moral où l'humanisme médiéval l'a placé. Le projet du Comité de Mendicité insère vieillards, indigents et infirmes entre la bienfaisance et l'ordre public, objets moraux à côté du monde de la production et de la société. Ainsi se perpétuera la distinction, parfois grossière - des morts de froid dans la société de consommation - mais aussi subtile - ceux dont la parole n'est pas recevable -, la distinction donc s'accommode avec le temps, entre les uns et les "autres", malgré le fronton Républicain "Liberté - Égalité - Fraternité".

 

En guise de conclusion

La Révolution de 1848 invente le concept de solidarité comme statut politique des marges dans la société industrielle. Il doit reconstituer le lien entre l'ordre affiché par la République (liberté, égalité, fraternité), et le monde social violent du capitalisme (inégalités, propriété comme cadre juridique des libertés). La question posée à l'Assemblée constituante est celle du droit au travail contre le chômage et la misère. La solidarité ne remet pas en cause l'ordre social mais crée des liens entre les classes par un nouveau contrat social. On ne fait plus la "République sociale", il s'agit de "faire du social".

L'Assemblée Constituante ne change rien au régime de la sainte propriété. Elle la protège en reprenant l'idée du Comité de Mendicité en 1789, l'assistance publique pour les chômeurs, pauvres, vieillards, infirmes et indigents. Le débat utilise les termes de "secours", "responsabilité de la société", "solidarité humaine". Alexis de Tocqueville vente ainsi le christianisme social 12. On ne touche pas aux principes politiques garants des intérêts de la bourgeoisie industrielle. On promeut des interventions publiques de secours aux chômeurs, indigents, et infirmes. L'humanisme et le christianisme social s'y concilient volontiers avec le concept révolutionnaire d'assistance publique. Plus tard, la loi du 14.7.1905 sur l'assistance obligatoire aux vieillards, infirmes et incurables institutionnalise l'idée du Comité de Mendicité.

L'exclusion a une histoire multiséculaire qui en fait un concept culturel. Celui-ci contient les rapports souvent tumultueux entre les religions et les pouvoirs laïcs. Il exprime l'accomplissement historique de l'exclusion en tant qu'échelle de valeur humaine. La culture contemporaine admet l'existence de mondes séparés : la société avec ses certitudes et ses divisions, et les "autres", interdits de parole, assistés ou exclus.

 

BIBLIOGRAPHIE

1 GOGLIN Jean-Louis Les misérables dans l'Occident médiéval éd. du Seuil Points coll. Histoire, 4° trimestre 1976.

2 DELUMEAU Jean La peur en Occident (XIV° - XVIJl° siècles), une cité assiégée éd. Fayard, 1978.

3 Michel MOLLAT Les pauvres au Moyen-âge éd. Complexe coll. H n°11, Janvier 1984.

4 GEREMEK Bronislaw La potence ou la pitié, L’Europe des pauvres du Moyen-âge à nos jours éd. Gallimard coll. NRF, 1987.

5 Michel MOLLAT, déjà cité (3), p.354.

6 FOUCAULT Michel Histoire de la folie à l'âge classique éd. TEL Gallimard, Mai 1976.

7 FOUCAULT Michel, déjà cité (6), pp. 66-67 et 77.

8 Pascal DORIGUZZI L’HISTOIRE POLITIQUE DU HANDICAP De l'infirme au travailleur handicapé éd. L’Harmattan, coll. Pratique Sociale, Octobre 1994.

9 Georges DUBY Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme éd. Gallimard, 1980.

10 Rapport au Comité de Mendicité Juin 1790.

11 DAVID Marcel Fraternité et révolution française éd. Aubier-Montaigne, coll. Historique, 1987.

12 Assemblé Constituante, Le Moniteur Universel de Septembre 1848, Alexis De Tocqueville le 13/9/1848, pp. 2417-2418. Voir également Souvenirs inachevés A. de Tocqueville dans les Oeuvres complètes publiées chez Gallimard, Paris, 1967. Voir également L’Encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII.

Pascal Doriguzzi Mai 1995.

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